Jour J (part 1)

Publié le par JoL

Jeudi 26 Juillet. 7h00 du matin. La chaleur de la nuit a été étouffante. Je suis en nage. Mes yeux peinent à faire passer la lumière. Ces derniers jours ont été chargés d’imprévus. Notamment un aller-retour en voiture vers Paris effectué entre le lundi et le mardi. Une charge émotionnelle relativement intense pendant ce court séjour. Une grande quantité de travail qui m’est soudainement tombé dessus le mercredi. Tout ça a fini d’user mes maigres réserves d’énergie et ce matin, je suis épuisé.

 

Cherchant de mes petits yeux une source de réconfort, je trouve Valérie. Comme moi, elle est réveillée. Comme moi elle est en nage. Mais à la différence de moi, elle est en pleine forme. Ses yeux sont grands ouverts et fixés sur les miens. Ce décalage d’humeur me surprend. Elle est enceinte et je suis sensé être LA personne en forme dans le couple. Je suis d’ailleurs celui qui, tous les matins, la laisse aux bras de Morphée en allant travailler. Mais aujourd’hui, c’est différent. Et je réalise soudain. Aujourd’hui, c’est mon anniversaire. J’ai 30 ans.

 

En général, je ne porte pas un grand intérêt à mes anniversaires. Ils arrivent comme ils repartent, sans bruit, sans vagues et sans annonces. Mais cette année, c’est un peu différent. Valérie a décidé que mes 30 ans seraient fêtés dignement. J’ai envie de lui faire ce plaisir. Et puis dans 3 semaines, la famille va s’agrandir. Cet anniversaire est donc la dernière occasion pour nous de fêter ce moment à deux. On va donc faire ça bien.

 

Valérie a préparé le programme et il commence par un super petit déjeuner. Quelques minutes après avoir décollé mes paupières à l’eau froide, je me retrouve à la table de la cuisine. Tout est préparé et je me fais servir. Je suis bien. Valérie a le sourire. La journée commence très bien.

 

Une fois engloutie la dernière tartine, je pars au boulot. Même si nous avons décidé que c’était une journée particulière, elle n’est toujours pas fériée. J’arrive à mon bureau en nage. Dehors, j’ai l’impression qu’il fait 50 degrés. A l’intérieur, j’ai l’impression qu’il en fait 100. Je regrette presque la période de froid hivernal des jours précédents (haaaa, les plaisirs de la chasse à l'ours polaire dans les rues de Mayence). Alors que j’essaie de trouver une position qui permettra à mon tee-shirt de sécher sans laisser trop de traces, quelques collègues en profitent pour venir me souhaiter un bon anniversaire. Je suis surpris qu’ils connaissent la date, mais je suis (sincèrement) touché. Je les remercie, en faisant attention à ne pas faire trop de bruit pour ne pas répandre la nouvelle à travers le couloir. Vers 16h00, quelques nuages apparaissent. Je profite de cette ouverture ombrageuse pour pouvoir rentrer à la maison en limitant ma déperte de sueur. 16h00 c’est tôt. Mais après tout, ce n’est pas tous les jours que l’on a 30 ans.

 

J’arrive donc tôt à la maison. Valérie est aussi excitée que ce lorsque je l’ai laissé ce matin. Mais elle est aussi très surprise. Alors que je m’approche pour l’embrasser, je me fais remonter les bretelles parce que je ne l’ai pas prévenu de mon retour précoce « Et si j’étais en train de faire des trucs que tu ne devais pas voir ? » me dit-elle, un petit sourire au coin des lèvres.

 

Vers 18h30, le programme se met en route. Valérie décide que l’on doit bientôt partir pour le restaurant. C’est un nouvel endroit que je ne connais pas. Valérie veut me faire une surprise. J’aime bien ça. Après avoir annoncé ses plans, elle s’enferme dans la salle de bain pour en ressortir quelques minutes plus tard, métamorphosée. Je la découvre alors parfumée, maquillée et bien habillée. Je suis subjugué. Je décide de lui faire honneur et vais immédiatement mettre ma plus belle chemise. Vers 19h00 nous sommes prêts. La soirée peut commencer. Plutôt que de s’embêter à prendre la voiture et trouver une place de parking en ville, nous décidons de prendre le tramway. Direction le centre ville.

 

15 minutes plus tard, nous sommes sur la place principale de Mayence. Je n’ai aucune idée d’où l’on va et j’aime bien ça. Sur le chemin, je prends quelques photos d’elle. Ca fait quelques semaines que je n’en ai pas fait et son ventre a pas mal changé. Comme il fait beau et qu’elle est bien apprêtée : l’occasion est parfaite. Une photo face à la grande fontaine de Mayence, une en face de l’opéra, une autre sur le chemin… Valérie réalise les changements que sa taille a subi depuis quelques semaines. Elle est impressionnée (choquée serait en fait plus approprié).

 

10 minutes plus tard, nous arrivons au fameux restaurant. Effectivement, je ne le connaissais pas. Elle a fait un bon boulot de repérage. Le restaurant est situé en plein centre ville, mais est protégé du bruit par une petite cour arborée. La salle principale est gigantesque avec des plafonds d’une hauteur inimaginable. Les lumières sont superbes. Je réalise vite que ce restaurant est en fait une ancienne église (information confirmée par Valérie). On est sous le charme. Devant le restaurant, il y a une petite cour avec des tables. Nous décidons de nous mettre dehors. Il fait encore très beau, la fraicheur du début de soirée est très agréable et un groupe de jazz joue ses standards. C’est merveilleux. Je suis très heureux. Valérie est radieuse. La carte est particulièrement fournie. Heureusement, Valérie avait pris la peine de la chercher auparavant sur internet et de l’imprimer dans sa version anglaise … elle a vraiment pensé à tout. Nous commandons nos plats avec appétit.

 

Le service est un peu long, mais ça n’a aucune importance. Je bois mon verre de vin blanc avec délectation, alors que Valérie s’occupe de son jus de pamplemousse (qui aurait du être un jus de raisin … petit problème de traduction). Nos plats arrivent. Ils sont beaux. Ils sont bons. Valérie et moi nous perdons dans notre discussion. Je passe une des soirées les plus agréables de ma vie.

 

Et soudain.

 

Alors que nous en sommes à la moitié de notre plat, je sens que Valérie perd le fil de la discussion. Son regard devient vide. Elle me dit qu’elle a l’impression que quelque chose a coulé sous sa jupe. Elle craint que ça ne soit de nouvelles pertes de sang. Elle est stressée et décide d’aller se faire un avis aux toilettes. Elle me laisse seul à la table. Pour moi, ça ne fait aucun doute. Il ne s’agit pas de pertes de sang. Elle vient de perdre les eaux. Je finis mon verre cul sec. Je regarde les gens autour de moi profiter de leur repas et du cadre agréable de la cour du restaurant. Je regarde nos assiettes à moitié pleines que nous ne finirons sûrement pas. Je regarde les serveurs zigzaguer entre les tables, tenant leurs lourds plateaux du bout des doigts. J’écoute les joueurs de jazz qui viennent de terminer leur session dans l’indifférence générale.

 

Valérie revient. Ca n’est pas des pertes de sang. C’est la poche des eaux. La quantité de liquide qui a coulé est limitée. La poche est donc juste fissurée. J’appelle un serveur. Il n’est pas super pressé pour venir jusqu’à nous. Il arrive enfin. Je lui demande s’il parle anglais. Il me répond oui. Je lui demande s’il est possible de payer maintenant (… il regarde nos assiettes à moitié pleine d’un œil dubitatif …) parce qu’il y a une urgence (je montre alors le ventre de Valérie). Son expression change immédiatement. Sa vitesse de réaction aussi. Ma phrase fait l’effet d’un starter. A sa fin, le voilà qui court entre les tables pour trouver une autre serveuse. Cette dernière venait de proposer de mettre du poivre sur les assiettes d’autres clients. Mais après que notre serveur lui ait glissé quelques mots à l’oreille,  la voilà qui jette littéralement le poivrier sur la table et part en courant à l’intérieur. Maintenant c’est sûr, nous avons affaire à une belle équipe de relayeurs. La serveuse revient quelques secondes plus tard, toujours en courant. Je la paye en laissant un beau pourboire. Elle nous quitte en me remerciant et en nous souhaitant bonne chance. Nous rassemblons nos affaires, nous levons de la table et nous dirigeons vers la sortie … sous le regard des autres clients qui semblent avoir compris la tournure des évènements.

 

Nous voilà dans la rue, face à un dilemme : est-ce que l’on doit aller directement à l’hôpital (ce qui nous prendrait environ 20 minutes avec une correspondance tramway-bus) ou est-ce qu’on passe d’abord par la maison pour récupérer la voiture, la valise d’accouchement (préparée depuis quelques jours) et ensuite aller à l’hôpital (ce qui devrait nous prendre 15 minutes de plus). Il nous reste 10 minutes de marche avant d’atteindre l’arrêt de tram et décider dans quelle direction aller. J’en profite pour appeler ma sœur à la rescousse. Il y a deux ans, elle a perdu les eaux en partant de son boulot. Elle me semble la mieux équipée pour comprendre la situation et pouvoir aiguiller notre choix.

 

Je compose son numéro. Elle décroche. Tant mieux. Je lui explique la situation. Elle ne stresse pas du tout – j’aime bien ma sœur. Elle nous rassure en disant qu’on a encore un peu de temps – j’ai déjà dit que j’aimais bien ma sœur ? Du coup, on est super calme. On va passer par la maison.

 

Dans le tram, on commence à réaliser ce qui nous arrive et on se pose des questions. Est-ce que Valérie va devoir rester alitée pendant les trois prochaines semaines? Est-ce qu’il y a un risque important pour le bébé ? Et si le bébé arrivait maintenant ? Non, pas possible,  3 semaines d’avance c’est beaucoup trop tôt.

 

Il y a un autre problème. Valérie m’en fait part alors que le tram arrive à destination. Elle a préparé une surprise pour moi, le lendemain soir, à la maison. Elle a invité mes amis de Mayence et de Bâle, ainsi que les voisins, pour faire un anniversaire surprise. Mon étonnement est total. C’est la première fois qu’elle arrive à garder un secret – en général, ils lui brûlent les lèvres et sortent immédiatement après avoir été pensés. Mais cette fois, non. Je suis ému et touché. Vraiment touché. Je comprends maintenant comment mes collègues ont eu connaissance de ma date d’anniversaire et pourquoi ils sont venus me le souhaiter ce matin. Je me rends compte aussi du mensonge que certains m’ont dit pour couvrir leur soirée du lendemain … A ma réaction, Valérie est un peu déçue. Elle regrette de ne pas avoir pu garder la surprise jusqu’au bout. Mais rapidement, sa déception s’amenuise. L’eau coule encore entre ses jambes et elle sent que de toutes façons, elle ne sera pas capable de mener son projet d’anniversaire surprise jusqu’au bout. De mon côté, j’essaie de la rassurer. Je lui dis que la surprise est déjà totale, qu’on ne sait pas encore comment on sera demain et que peut être tout ira bien. Je lui dis aussi que si on est bloqué, j’appellerai ces personnes dès ce soir pour les prévenir que la soirée est annulée.

 

Cette conversation se termine alors que nous arrivons à la maison. Valérie veut prendre plus d’affaires, puis moins d’affaires, elle veut prendre son temps, puis tout faire rapidement … les choses deviennent confuses. Je mets rapidement fin à ses tergiversations. On n’a pas le temps. On prend la valise qui est prête et on y va.

 

21h00. Nous arrivons à l’hôpital. On connaît la route de la maison jusqu’à la clinique. On connaît aussi la route à l’intérieur de l’hôpital, de l’entrée jusqu’au service ou l’on doit se présenter. Après quelques secondes, on sonne à la porte. Une infirmière nous accueille. Elle est sympa. Elle nous emmène dans la chambre d’examens. On connaît bien cette chambre. On est un peu comme chez nous. L’infirmière branche des capteurs sur le ventre de Valérie. Elle fait aussi quelques prélèvements. Puis on attend. Encore et encore. Les secondes deviennent des minutes. Les minutes deviennent interminables. On ne comprend rien de ce qui se passe. Les doutes et les questions reviennent. Le stress aussi, particulièrement fort.

 

L’infirmière revient. Enfin. Elle regarde les résultats donnés par le capteur. Elle regarde le résultat des prélèvements. Et puis elle repart. Presque aussi vite qu’elle est venue. Un échange de regards dubitatif commence alors avec Valérie. On est un peu perdu. On ne sait pas trop quoi penser. L’infirmière revient. Valérie n’en peut plus d’attendre. Elle lui demande : « qu’est-ce qui se passe? ». L’infirmière répond « vous allez accoucher … mais vu l’heure, ce sera plutôt demain ». Le stress se transforme en excitation. Valérie a bien réussi son coup, je me souviendrai toujours de ce 30ème anniversaire.

 

La suite au prochain numéro.

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C
Vraiement un chapitre magique Joël!!! J'en suis très emue! Et pendant un lecture tout le temps un gros sourire sur le visage car connaissant un peu la fin de l'histoire je me demandais à quel point<br /> l'Anniversaire allait virer en passage par l'hopital! ;o)<br /> Bises à vous 3!!!<br /> Et en effet, ÇA c'est un anniversaire que tu n'oubliras jamais! :D
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M
J'adore, je suis fan des récits d'accouchement. Et là, raconter par le papa c'est encore mieux....<br /> il est 10h36 du mat, il fait déjà 36° et pourtant, j'ai des frissons partout !<br /> vivement la suite.
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